Par Isabelle Chevalier
Dans le milieu de la mode, les années 70 marquent, en Guadeloupe, un véritable tournant. Le couturier Angenel Gonfier se souvient de cette époque qui a vu l’essor de sa profession.
« Je me rappelle très bien. A l’époque, c’était le temps des pattes d’éléphant et des chemises cintrées, comme s’habille Bostik en spectacle. Les femmes portaient des jupes trapèze, évasées, des chemisiers en dentelle, des petites robes paysannes… C’était très haut en couleur (jaune, rouge, fuchsia…) » En 1970, le couturier Angenel Gonfier avait 16 ans. « Je faisais déjà des vêtements. » Si la couture n’est pas son premier métier, ça a toujours été son univers, sa passion. « J’étais en 3e quand j’ai fait ma première coupe. »
Au début des années 70, se souvient-il, « il y avait très peu de couturiers dans les communes. Ils étaient pratiquement tous à Pointe-à-Pitre, du moins ceux que je connaissais, comme MM. Gelabale et Sylvestre. Il y avait aussi un Haïtien, surnommé Pacheco. A cette époque, les tailleurs étaient des autodidactes ou des apprentis. Il n’y avait pas d’école de couture en Guadeloupe. Les tailleurs habillaient les hommes et les couturières, les femmes. Il y avait d’ailleurs beaucoup plus de magasins de tissus (Tati, Soiries Chammas, Marie Gabriel, Chez Nassief, Azar, Sans égal, etc.) que de vêtements. »
Toutefois, selon Angenel Gonfier, dans ces années-là, onne pouvait pas encore véritablement parler de création en Guadeloupe. « On répliquait des vêtements qui nous plaisaient », note le couturier. Ceux que portaient les influenceurs de l’époque, des artistes tels que « Fred Aucagos, Freddy Marshall, Christian Zora et tous les musiciens des orchestres connus, comme les Maxel’s, les Vikings, Typical Combo, les Rapaces, les Guitare Boys, etc. Ils étaient nos références vestimentaires. On voulait leur ressembler. »
MÉDIATISATION
Angenel Gonfier portait, lui, des pantalons Otis, taille haute, en référence à Otis Redding. « On copiait la mode américaine. James Brown était aussi un grand influenceur. On regardait ce qui se faisait ailleurs, ce qui était tendance et on était à la page. Si ça bougeait aux Etats-Unis ou dans l’Hexagone, ça bougeait en Guadeloupe. L’art vestimentaire a toujours compté pour les Antillais, pour qui l’apparence est quelque chose de très important. »
C’est dans ce contexte que la profession de couturier a pris son essor dans l’archipel. « Avant les années 70, les tailleurs n’étaient pas médiatisés. On ne parlait pas de mode en Guadeloupe. Mais à partir de 1975, c’est un métier qui a commencé à émerger. Il y a eu une émulation dans le milieu. De plus en plus de couturiers se sont installés, surtout à Pointe-à-Pitre. Des centres de formation ont vu le jour, notamment à la chambre de métiers et la section couture à Baimbridge. C’était aussi le début des défilés. »
Les couturiers les plus connus étaient Alex Mondelo, Gitane, Charly Will, Monette Désiré, Ma Coco ou encore Denis Devaed. « La presse s’est emparée d’eux et chaque couturier a voulu être singulier dans sa démarche, marquer son passage de son empreinte. Il y avait aussi ceux qui ne faisaient pas obligatoirement de défilés, mais qui ont marqué la mode en Guadeloupe : Jean Phirmis, l’Artist, feu Frantz Gustan, entre autres. »
Angenel Gonfier les a rejoints en 1982. « Je me suis greffé à ces noms, à cette histoire. » Et lui aussi a posé son style. « Basé sur la créolité issue de la tradition. Ce n’est pas moi qui l’ai inventée, mais j’ai mis ma signature sur mes vêtements. » Ce qu’il retient des années 70, c’est « la liberté que procure la mode ».