Le projet « Opéra en Guyane » crée l’événement à chaque voyage, étoffant sa programmation et étendant ses ateliers à l’ensemble du territoire. La venue d’artistes comme Guillaume Diop, premier danseur Etoile noir de la compagnie, ou Shanti Mouget, danseuse formée en Guyane, contribue aussi au succès de ce dispositif auprès de la jeunesse locale.
« L’Opéra en Guyane », lancé en 2022 par l’Opéra de Paris en coopération avec les acteurs culturels du territoire, est un programme artistique et pédagogique qui permet à des publics éloignés de découvrir l’opéra et le ballet, mais aussi de révéler de nouveaux talents. Le projet est né sous l’impulsion de Myriam Mazouzi, directrice de l’Académie de l’Opéra de Paris, après le mouvement social de 2017. « J’ai été frappée par le mal-être de cette population qui luttait pour l’égalité des chances et des droits ; je me suis dit que l’Opéra de Paris pouvait apporter des réponses en se rendant accessible à la jeunesse guyanaise. L’éloignement social, géographique, territorial, culturel, n’empêche pas le contact, l’échange, le partage ». Le projet, financé par la société Meridiam, est le premier du genre à être lancé en Outre-mer par l’institution tricentenaire. En presque trois ans, neuf voyages de l’Opéra de Paris ont déjà eu lieu en Guyane, avec l’objectif de susciter des vocations, de transmettre des savoirs, d’accompagner de jeunes pousses mais aussi, dans le cadre du programme OpérApprentis, de faire connaître les métiers (plus de 100) de l’Opéra de Paris aux élèves des CFA de Cayenne et Saint-Laurent du Maroni, tout en les éveillant à la culture artistique. Animées par des danseurs, des musiciens et des chanteurs lyriques de l’institution parisienne, des sessions d’ateliers sont proposées trois à quatre fois par an aux élèves – enfants et adultes – du littoral mais aussi, depuis peu, des communes de l’intérieur comme Maripasoula et Papaichton. Des spectacles mêlant les différents arts sont également joués à l’Encre, la scène du Conservatoire de Musique, de Danse et de Théâtre de Guyane.
Par Adeline Louault
Favoriser la diversité`
Le programme « Opéra en Guyane » vise à créer des collaborations durables avec les structures locales mais aussi à favoriser la mixité ethnique et sociale au sein même de la compagnie, longtemps jugée trop « blanche » et réservée aux personnes aisées. En février 2021, un rapport commandé par l’Opéra avait indiqué que la diversité était “une grande absente à l’Opéra national de Paris à tous les étages”. L’ambition de détecter de nouveaux talents guyanais est hautement réalisable puisque le projet, né il y trois ans, vient d’être reconduit pour 3 années supplémentaires. « Six ans, c’est une génération de chanteurs et de danseurs, se réjouit Myriam Mazouzi qui confie avoir déjà repéré, avec son équipe, des jeunes prometteurs. C’est important de sortir de nos murs, d’ouvrir nos canaux de recrutement. On se doit de représenter la société française. On reçoit des chorégraphes du monde entier qui recherchent des profils variés, différents et complémentaires ». Les danseurs Guillaume Diop et Shanti Mouget, tous deux métis, incarnent cette nouvelle génération d’artistes. Le premier, nommé Etoile à seulement 23 ans, en mars 2023, est considéré comme un véritable symbole. Un statut qu’il a eu du mal à accepter au départ. « Cela me saoulait un peu que les médias insistent sur ma couleur de peau mais quand je suis arrivé ici, j’ai bien vu après les spectacles que les élèves s’identifiaient à moi, que cela prenait du sens pour eux de voir que quelqu’un comme moi, comme eux, pouvait être danseur Etoile à l’Opéra de Paris. Cela m’a fait du bien à titre personnel car ça a enfin mis une réalité sur des mots ». Pour Shanti Mouget, 30 ans, formée enfant à l’ADACLAM, école de danse de Cayenne, c’est aussi la jeunesse qui rapproche les artistes des élèves. « Ce n’est pas qu’une histoire de couleur, c’est aussi le fait de vivre dans la même époque, de parler le même langage ».
Une proximité unique avec le public
Après avoir dansé une première fois en Guyane en novembre 2023, Guillaume Diop a souhaité revenir sur le territoire pour y donner des cours en 2024. « Il m’a dit qu’il s’était senti à l’aise avec les jeunes rencontrés à l’issue des représentations et qu’il voulait animer des ateliers, se souvient Myriam Mazouzi. Comme il n’a pas encore une grande expérience de pédagogue, je l’ai mis en binôme avec le danseur Vincent Chaillet ». Initier et former la relève est un rôle que Guillaume Diop a pris très à cœur. « C’est important, pour qu’ils puissent se projeter, que les jeunes pratiquent avec quelqu’un qu’ils ont vu danser. C’est valorisant pour les enfants et pour nous aussi, on apprend beaucoup de leur envie, de leur spontanéité, de l’attention qu’ils nous portent ». Très émue de revenir travailler sur la terre où elle a passé une partie de son enfance, sous les yeux de son ancienne professeure Jeanine Verin, Shanti Mouget parle d’un accomplissement. « Revenir là où tout a commencé, en tant que danseuse professionnelle, c’est à la fois une responsabilité et une fierté », raconte-t-elle. Comme leurs consoeurs et confrères de l’Opéra venus se produire ou donner des master class en Guyane, les deux artistes apprécient la proximité et les liens forts qui se nouent avec le public local. Tous disent trouver ici une intimité, que ce soit entre professionnels ou avec les personnes qui viennent les admirer, qu’ils ne connaissent pas ailleurs. « On ressent le public, on perçoit ses réactions, explique Guillaume Diop. Alors qu’à l’Opéra, les spectateurs forment une masse noire, ici on discerne les visages. Certains pourraient penser que c’est stressant, moi je trouve ça rassurant ! ». L’Opéra en Guyane reviendra en fin d’année pour une nouvelle série d’ateliers et des projets. Myriam Mazouzi souhaite notamment développer les échanges avec les communes de l’intérieur, en partenariat avec le conservatoire. Elle projette aussi de faire venir une troupe guyanaise – « La compagnie des jeunes sans limites » – à Paris. « « L’Opéra en Guyane est un programme essentiel car non seulement il permet aux structures artistiques locales de s’emparer de nos actions pour progresser et se professionnaliser mais il transforme et nourrit également notre propre institution », assure la directrice de l’Académie. Un échange gagnant-gagnant dont on a hâte de découvrir les prochaines étapes.