Par Clara Elmira
Tradition ancrée dès le XVIIe siècle, le carnaval demeure un événement majeur en Martinique, tant d’un point de vue culturel que festif.
Mais ou prend-il ses racines ?
Le carnaval de Martinique est l’un des seuls participatifs au monde. Ses quatre jours gras sont marqués par des coutumes précises : champ libre le dimanche, mariage burlesque le lundi, tout le monde en rouge et noir le mardi et en noir et blanc le mercredi afin de pleurer la fin du carnaval et la mort de son roi, Vaval, brûlé en fin de journée sur le front de mer de la ville de Fort-de-France.
Selon l’historien et agrégé d’histoire, spécialiste de l’histoire de la Caraïbe, Gilbert Pago, le peuple martiniquais est également le seul au monde à avoir obtenu une dérogation de la part du responsable épiscopal de l’époque, qui l’aurait demandée au pape en personne, avant l’abolition de l’esclavage, et ce afin de pouvoir débuter le carême le jeudi en lieu et place du mercredi.
Les origines du carnaval sont multiples. D’une part, il a été introduit par les Européens qui célébraient le carnaval dès le Moyen-Âge ; d’autre part par les esclaves en tant que pratique festive des pays africains. « Les maîtres acceptent d’accorder ces journées de liberté où l’on fait ce que l’on veut. » C’est un véritable exutoire qui donne lieu à deux célébrations distinctes.
Le carnaval des Blancs riches, durant toute l’époque de la colonisation, qui représentait la grandeur française, notamment au XIXe siècle. Il exposait des cavalcades, des costumes de chevaliers et des incarnations de grands souverains. Le théâtre de cette démesure était la ville de Saint-Pierre, poumon économique de l’île.
Moment subversif
Mais il y a également le carnaval des pauvres. N’ayant pas les moyens de faire défiler des cavalcades, on y retrouve essentiellement les marchandes, les vidés durant lesquels l’on chante et danse, le bal populaire, et autres habitudes du quotidien dessinées à travers divers personnages très connus tels que Marianne la po fig, Caroline Zou zou, les Palpa top, ou encore les coupeurs de canne ou neg gwo siwo. Ils singent diverses scènes de vie des Blancs riches, ce qui donne naissance, entre autres, à la tradition du mariage burlesque.
Le roi du carnaval est un bwa bwa, « un avatar dont l’objectif est de vilipender quelqu’un que l’on n’apprécie pas pour le tourner en ridicule », raconte Gilbert Pago. On y retrouve également les célèbres diables rouges importés par les esclaves et dont les miroirs représentent des divinités et les cornes, l’abondance.
Au fil des tensions sociales, le carnaval est de plus en plus contrôlé, voire interdit, « comme en 1797, durant l’occupation anglaise ». Les carnavaliers choisissent alors la discrétion mais défient tout de même l’autorité en optant pour un signe distinctif tel qu’un chapeau par exemple, se reconnaissant ainsi entre eux. Après l’éruption volcanique de 1902, le carnaval sera relocalisé à Fort-de-France et prendra un aspect commercial avec des chars et de la publicité.
La place de la musique
Dès le départ et durant de très nombreuses années, la plupart des chansons affichaient un caractère caricatural, et chaque année une chanson primait sur les autres, ce qui donnera par la suite lieu au concours de la chanson créole avec des biguines, des mazurkas, des vidés mais également le bèlè, le danmyé, le ladja, la bamboula ou encore la quadrille « qui singeait le menuet des Blancs ». Elles avaient le plus souvent un double sens grivois subtil comme la chanson, Papillon volé datant de la fin du XIXe siècle.
Ces chansons pouvaient également traiter de politique. Certains se plaignent qu’il ne reste désormais presque plus de chansons à texte au seul profit des insultes scandées dans la rue. Le carnaval serait également de moins en moins politisé. Son roi Vaval étant moins provocateur et mordant qu’auparavant, il ne serait aujourd’hui plus un bwa-bwa, mais une thématique conceptualisée, comme en 2023 où il représentait la prolifération des armes, de la violence ou encore de la drogue.
Chaque année, les nostalgiques d’antan crient au scandale, se désolant que la fête et les tenues soient de plus en plus débridées. Si les nombreux groupes à pied costumés restent le cœur battant de cette célébration rythmée, les circuits laissent désormais la part belle aux chars de plus en plus nombreux et plébiscités par les jeunes.
Si le carnaval évolue avec son temps et perd de son irrévérence, il reste un moment de grâce intergénérationnel, partagé dans l’unité, la diversité et la liesse, qui restera pour longtemps un incontournable dans le cœur des Martiniquais.