Propos recueillis par Isabelle Chevalier
Rencontre avec Louis Collomb, l’un des acteurs du renouveau du carnaval de Guadeloupe, qui s’affirme aujourd’hui dans toute sa diversité et son originalité avec ses groupes à pied et n’a jamais été aussi populaire.
Louis Collomb a participé au renouveau du carnaval de Guadeloupe aux côtés d’autres acteurs engagés comme Rudy Benjamin et Eric Nabajoth.
Il a présidé le GDCF de 1981 à 1987, ainsi que l’Office du carnaval de la Guadeloupe (OCG) de 2012 à 2017
Le carnaval de Guadeloupe s’est transformé.
Qu’en était-il dans les années 60 ?
À l’époque, il y avait des défilés de chars décorés ou qui transportaient des orchestres de bal. Parallèlement, le dimanche matin, après la messe, des petits groupes de gens déguisés – dix à quinze personnes pour les plus grands – passaient ici et là dans les rues en faisant des figures et la quête. Et à la fin du carnaval, il y avait les vidés le mercredi des Cendres, puis à la mi-Carême. Des défilés de chars avec orchestres et des gens qui dansaient derrière.
Le carnaval a ensuite connu une crise.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
À Pointe-à-Pitre, en 1969, il y a eu une tentative de récupération politique du carnaval. Un appel à défiler avec les couleurs nationales, le rouge et le vert à l’époque. Le comité a refusé. Dès lors, plus rien n’a été organisé les années suivantes. Le carnaval était moribond à part un petit camion qui sortait dans les rues avec un orchestre (Tabou n°2 dans lequel Francky Vincent a commencé à jouer de la musique, puis les Hunters) et deux groupes (Plastic Boys et Atata Combo). Ce camion appartenait à l’entreprise de mes parents. Et en 1976, l’éruption de la Soufrière a mis un coup d’arrêt au carnaval à Basse-Terre pendant plusieurs années. Du coup, les festivités se sont concentrées sur Pointe-à-Pitre, où le carnaval s’était relancé entre-temps.
Qui a contribué à cette relance du carnaval et comment s’est-elle opérée ?
C’est le Groupement pour le développement du carnaval et des fêtes (GDCF) qui est à l’origine de cette relance avec le soutien financier des commerçants. Je l’ai rejoint dès sa création, en 1975, pour l’organisation du carnaval de 1976. Il a démarré le premier dimanche de l’année, à la fête des rois. Le GDCF a décidé d’organiser des défilés tous les dimanches jusqu’aux jours gras avec Plastic Boys et Atata Combo. Le mardi gras a été un succès. À tel point qu’il a fallu changer le parcours prévu autour de la place de la Victoire. Le défilé était trop long. Ensuite, le GDCF a contribué à la relance du carnaval dans les communes et dans le chef-lieu.
À ce moment-là, le carnaval de Guadeloupe connaît une mutation importante…
Avec l’arrivée de la chaîne stéréo, les orchestres de bal ont disparu des défilés, de même que les petits camions de marchandises sur lesquels étaient embarqués les orchestres et les sonos. Et ce du fait de la conteneurisation. À partir de là, le modèle du groupe à pied va s’imposer avec la musique autoportée. Plastic Boys, avec ses instruments de récupération (bidons en plastique…), et Atata Combo, le père des groupes à peau, ont été les précurseurs. De scission en scission, ils vont générer toute une série de groupes (Naw Chiré, Guimbo, Toum-Black, Raizet City…) Des groupes à peau vont également émerger d’Atata Combo, dont Akiyo. C’est de là que sont nés tous les groupes à pied qui sont aujourd’hui une centaine voire plus (ti-mas, groupes à caisses claires et groupes à peau).
Qu’est-ce qui différencie ces groupes et comment ont-ils évolué au fil du temps ?
Fondamentalement, ils font la même chose. Ils défilent avec des tambours et ont globalement la même base musicale, le rythme de la musique Sen Jan (Saint-Jean). Cela étant, il y a des nuances. Les groupes à peau vont plus vite, ils déboulent. Les groupes à caisses claires dansent sur des chorégraphies. Les instruments de musique et les costumes sont également différents. Au fil du temps, ces derniers ont été de plus en plus élaborés et originaux dans les groupes à caisses claires, notamment depuis l’instauration des concours. Plus tard, les groupes à peau sont eux aussi entrés dans cette dynamique, sous l’influence du Point d’interrogation et de Vim. La musique a, elle aussi, évolué. On a vu apparaître de nouveaux instruments. Elle a gagné en qualité à force de perfectionnement et de professionnalisation des musiciens. Cette année, on a même franchi un cap avec la Symphonie porcelaine de Vim créée par Rudy Benjamin.
Comment mesure-t-on le succès du carnaval ?
Déjà par la taille des groupes à pied. Aujourd’hui, certains réunissent des centaines de personnes. On note également une féminisation du carnaval, y compris parmi les musiciens, alors qu’avant il était essentiellement masculin. Et puis aujourd’hui, il y a quasiment autant de participants que de spectateurs, qui viennent de toute l’île pour assister aux parades et aux déboulés.
Imaginiez-vous que le carnaval de Guadeloupe deviendrait aussi populaire ?
Franchement, non. C’est aussi le résultat du travail des comités et des groupements qui ont organisé le carnaval (programmation, itinéraires, concours…) C’est ce qui lui a permis de se développer et aux carnavaliers et aux spectateurs de participer ou d’assister au carnaval avec un maximum de sécurité. C’est le fruit d’un travail collectif, avec des hauts et des bas, et un équilibre à trouver entre organisation et liberté.