Propos recueillis par Eleonore Théodose
Dans les années 70 souffle un vent de liberté aux Antilles. Période de revendications marquée par des tensions sociales fortes, elle est aussi synonyme d’audace. On ose lâcher ses cheveux au naturel, on affirme qui on est.
Ondulés, frisés ou crépus : la variété des cheveux est à l’image du métissage des populations antillaises. Tour à tour atout séduction, vecteur de revendication, la chevelure re-flète les codes sociaux d’une époque, changeant au gré des modes et des évolutions sociétales.
Les années 70 marquent un tournant dans la valorisation du cheveu texturé. Dans l’hexagone, l’ondulation sauvage de Brigitte Bardot ou le brushing ultra raide de Jane Birkin font des émules mais ces modèles sont inadaptés à la richesse des types de cheveux antillais. Trouver son style, s’affirmer dans sa singularité, revendiquer ses origines… La période fantasque des seventies a permis de revendiquer la fierté d’être soi. Des lectrices de JOHO témoignent de leur rapport à leur patrimoine capillaire durant cette période charnière.
DE L’AFRO À LA BOUCLE, DE L’OMBRE À LA LUMIÈRE
Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. Aux origines, les coiffures des cheveux crépus tenaient une place emblématique dans certaines cultures africaines marquant l’appartenance identitaire (clan, place sociale, sexe…) de l’individu. Conscients de la portée de ces symboles, des esclavagistes ont parfois rasé les cheveux des esclaves, contribuant ainsi à leur déshumanisation. Des siècles plus tard, des personnalités descendantes d’esclaves, incarnant la culture afro américaine, ont porté leurs cheveux en étendard. Liées par une histoire tragique commune, les populations antillaises pouvaient enfin s’identifier à des nouveaux codes de la mode plus adaptés. Le métissage va quant à lui donner naissance à une variété de cheveux bouclés fins ou épais, avec des frisures très serrées ou des ondulations, exigeant un entretien spécifique.
Malou Dahomé, la vingtaine dans les années 70 en Guadeloupe se souvient de l’émergence de nouveaux rôle modèles afro-américains issus du monde artistique et politique telle qu’Angela Davis. L’afro se démocratise alors et devient une coiffure phare qui est largement représentée sur les scènes cinématographique et musicale, notamment avec l’avènement du disco et d’icônes tant féminines que masculines
(les Jackson 5, Diana Ross, Earth, Wind and Fire…). En parallèle, les boucles sont sources d’inspiration dans les coiffures européennes. Au sein de la jeunesse, le look capillaire devient un enjeu. Malou se souvient de sa fratrie imitant cette mode de l’afro décomplexé : « on le faisait d’abord pour nous, on s’assumait ! »
UN OUTIL D’AFFIRMATION IDENTITAIRE
Charlette Boisnoir, d’origine antillaise et adoptée en France se remémore la résilience de sa famille face à sa chevelure crépue indomptable d’enfant. C’est au début des seventies que le vent de liberté qui décoiffe les moeurs conservatrices va lui permettre de découvrir des modèles plus appropriés à son type de cheveu… et de personnalité. A l’âge ou l’on s’affirme en tant que femme, Charlette, 30 ans, essaie tous les styles. De l’afro au long crépu, en chignon volumineux ou en coupe courte, sa chevelure est une force qui la caractérise parmi les autres filles.
Ce patrimoine génétique va devenir un véritable outil de revendication identitaire. En 1979, elle explore son territoire d’origine la Martinique, et décide d’adopter les dreadlocks. Charlette conscientise clairement ses choix capillaires comme une volonté de s’approprier des références culturelles qui vont au-delà de l’esthétique. Ses looks évoluent, ses découvertes artistiques aussi : elle s’évade par le jazz, admire Ella Fitzgerald et s’intéresse à la culture africaine. Outre la coiffure, les accessoires se développent : bandeaux, foulards, bijoux… Les produits capillaires restent néanmoins encore limités, l’industrie ciblant principalement les cheveux lisses.
Malou et Charlette ont alors recours à des huiles naturelles ou des produits importés. Depuis, la prise en compte des besoins des cheveux texturés a donné lieu à l’explosion des marques capillaires dédiées. Finalement de cette époque que reste-t-il ? Régine, coiffeuse à domicile en Martinique témoigne : « Aujourd’hui la mode est au retour au naturel, comme l’indique l’essor du mouvement nappy (natural hair movement). Les femmes martiniquaises abandonnent le recours au défrisage en vogue depuis les années 80. Cette recrudescence du cheveu naturel s’explique aussi par l’essor d’un large panel de produits capillaires de qualité et par la valorisation de l’individu à travers ses spécificités. » Les années 70 dans leur excentricité auront contribué à libérer les chevelures des carcans sociaux et raciaux.